Vienne 1938 : les nazis ont envahi l’Autriche et persécutent les juifs.
Par optimisme, Sigmund Freud ne veut pas encore partir ; mais en ce soir d’Avril, la Gestapo emmène Anna, sa fille, pour l’interroger. Freud, désespéré, reçoit alors une étrange visite.
Un homme en frac, dandy léger, cynique, entre par la fenêtre et tient d’incroyables discours…
Qui est-il ? Un fou ? Un magicien ?
Un rêve de Freud ? Une projection de son inconscient ?
Ou bien est-il vraiment celui qu’il prétend être : Dieu lui-même ?
Comme Freud, chacun décidera, en cette nuit folle et grave, qui est le visiteur…
Créé au Festival de Théâtre de Spa le 11 août 2006.
143 représentations.
Genre : Comédie dramatique, Théâtre
Auteur : Eric-Emmanuel Schmitt
Distribution : Alexandre von Sivers, Benoît Verhaert, Nathalie Laroche, et Gérald Wauthia
Production : Théâtre de Namur | Théâtre Le Public | Cie Gildas Bourdet
Mise en scène : Gildas Bourdet, assisté de Elisabeth Lenoir
Lumières : Laurent Kaye
Costumes : Céline Rappez
Photographe : Cassandre Sturbois
Maquillages : Sophie Carlier (création) et Véronique Dubray (réalisation)
Construction du décor : Christian Guilmin et Thierry Dupont
Durée : 80
Saisons
2006-2007
2007-2008
2008-2009
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Lu dans la presse
« Le Meilleur d’Eric-Emmanuel Schmitt », Marion Thébaut, Le Figaro, le 12 juillet 2007.
Une fantaisie philosophique
Le duo échange des idées, des paradoxes. Et celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas sont envoyés dos à dos. Au total, une belle conversation qui tient plus à une fantaisie philosophique qu’à une soutenance de thèse. Car nous sommes au théâtre, et c’est tant mieux. À ce jeu, Alexandre von Sivers est un Freud très convaincant. C’est lui l’autorité. Il a un côté père tout-puissant qui met à mal le jeune visiteur. Benoît Verhaert, lui, ne fait pas oublier le Thierry Fortineau de la création, mais il donne à son personnage un je-ne-sais-quoi de léger qui ne manque pas de séduction. Et si Dieu était le diable ? (…)
Le Soir C.M.
Texte à succès (le public adore voir Dieu en chair et en os), largement récompensé à Paris et ailleurs, ce nouveau Visiteur était très attendu, et n’a pas déçu. La pièce a tous les atouts pour nous convertir, à commencer par deux acteurs puissants dans les rôles principaux. Paradoxalement, c’est Freud, personnage délicieusement complexe, qui impressionne le plus… Magnifique de précision, le jeu réaliste et rigoureux d’Alexandre Von Sivers ne laisse rien au hasard, oscillant entre l’intelligence et l’orgueil du père de la psychanalyse, d’une part, et l’épuisement d’un vieillard fragile et inquiet, de l’autre. Face à lui, Benoît Verhaert est en pleine forme. Avec sa redingote de dandy et son chapeau de magicien, le comédien étincelle. Virevoltant comme un diablotin, ce Dieu prend un malin plaisir à jouer de son enveloppe charnelle. Une composition savoureuse, drôle, plus proche d’un Pan païen que du vieux barbu sentencieux de l’Ancien Testament. Leur jeu pétillant et démonstratif semble entraîné par la mise en scène enlevée, et contraste avec la scénographie inspirée du véritable appartement de Freud à Vienne – qui ne tranchait pas par sa fantaisie. Pour faire croire à son Dieu, Gildas Bourdet use de tous les moyens pour nous convaincre d’abord de son Freud de 1938…
La Libre Y.T.
Gildas Bourdet…a conduit sa distribution belge au travers de cette étrange nuit de Sigmund Freud avec autant de fougue que de précision.
Alexandre von Sivers joue le père de la psychanalyse avec une tranquille autorité qui installe le personnage dès les premières secondes. Nous sommes bel et bien dans l’appartement de la Berggasse, dans une Vienne désormais incluse dans le IIIème Reich hitlérien, par une nuit de péril où la fille du médecin juif a été emmenée par un sbire de la Gestapo (Gérald Wauthia).
Nathalie Laroche interprète avec conviction et justesse l’indomptable Anna, convaincue qu’il faut fuir un pays en proie à une meurtrière hystérie fasciste, fille aimante mais résolue à faire changer d’avis ce père redoutable qui croit encore qu’un Viennois ne peut être nazi. Dans la solitude de la nuit de Freud, survient le « visiteur », énigmatique personnage omniscient, qui ressemble furieusement à l’idée que pourrait se faire le scientifique du Dieu auquel il ne croit plus depuis l’enfance. Benoît Verhaert lui prête une grâce insolente, une élégance, une ironie, un mordant tout à fait inoubliables. La qualité de l’interprétation, encore une fois, et le rythme énergique – on souhaiterait parfois pouvoir respirer un peu – de la mise en scène confèrent à cette conversation fouillée sur l’existence de Dieu une tension dramatique qui ne découle pas forcément de ce texte brillant. Chapeau.
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A la création, Gildas Bourdet avait beaucoup aimé cette pièce, voici qu’il la met enfin en scène. Une vision vive, brillante, tranchante, stylisée, qui excite l’esprit et demande une folle virtuosité à ses interprètes. Ceux-ci relèvent le défi avec bonheur et autorité.
Le Visiteur est une pièce qui, dans d’autres productions, a parfois pris des couleurs sombres et crépusculaires ; elle crépite ici comme un paradoxe incarné, une fantaisie philosophique qui court vite avec des pieds légers. Un festin de théâtre pour nos neurones.
Merci de respecter autant l’intelligence du spectateur.
Bruxelles octobre 2006
Eric-Emmanuel Schmitt
Lorsque que j’eus achevé Le Visiteur, j’en fis –c’est mon habitude- la lecture à mes proches. Deux me dirent que c’était magnifique, le troisième que ça ne l’intéressait absolument pas. Naturellement, ce fut celui-là que j’écoutai et j’enterrai mon texte dans la tombe d’un tiroir sans même une fleur séchée dessus. Plusieurs mois plus tard, l’insistance des deux amis, la curiosité d’un metteur en scène, l’enthousiasme d’un producteur finirent par faire arriver Le Visiteur sur scène.
Il se répéta en août 93, à la place d’une autre pièce, en hâte et par hasard, car le producteur François Chantenay devait à tout prix monter quelque chose dans cette salle qu’il avait louée. Toute l’équipe y croyait ; Gérard Vergez dirigeant avec passion des interprètes exigeants et rares, Maurice Garrel, Thierry Fortineau, Josiane Stoléru, qui, à chaque pause, me réaffirmaient leur adhésion profonde à ce texte, et leur foi en son retentissement. Je me taisais, en apparence par modestie, en réalité par prudence lâche : j’étais persuadé qu’ils se trompaient tous, que la pièce chuterait, et que dans deux mois, ils changeraient de trottoir pour éviter de me saluer.
L’ouverture du Visiteur, le 21 septembre 1993, me donna d’abord raison. Il n’y avait que deux spectateurs payants, mes parents, qui avaient tenu à acheter leurs billets. L’attachée de presse n’avait pu obtenir le moindre papier à l’avance et n’arrivait pas non plus à faire venir les critiques, ceux-ci voulant d’abord « couvrir » les spectacles les plus attendus. Il n’y avait plus qu’une solution : inviter. On remplit, d’abord difficilement, puis plus aisément, la salle de spectateurs gratuits.
Des propos excellents commencèrent à courir de bouches à oreilles. La profession théâtrale s’emballa pour ce spectacle. Alertée par la rumeur montante, la presse vint enfin et multiplia les superbes critiques. Enfin les media déboulèrent et m’invitèrent aux meilleures émissions. Au bout de deux mois, le théâtre était comble tous les soirs, nous étions « le » spectacle qu’il fallait voir, on me proclamait découverte de l’année, et trois Molière me couronnèrent. Le succès dure, à travers des théâtres, des productions, des interprètes différents ; le livre détient le record de diffusion du théâtre contemporain (+ de 40000 exemplaires) ; et l’aventure, dit-on, ne fait que commencer.
J’en fus le premier surpris. Et je le demeure encore, quoique j’ai fini par rejoindre le groupe de ceux qui adorent Le Visiteur. J’avais écrit ce texte dans une grande solitude, selon une nécessité intérieure, je le croyais si intime, si privé, si personnel, que je ne le croyais pas capable d’être apprécié par d’autres que par des amis complaisants. Comment croire en Dieu aujourd’hui ? Comment croire encore en Dieu dans un monde où l’horreur le dispute à l’abominable, où la bombe extermine, où sévit comme jamais la discrimination raciale, où l’on invente des camps de rééducation ou d’extermination ? Bref, comment croire en Dieu à l’issue de ce XXe siècle si meurtrier, si méthodiquement meurtrier ? Comment croire en Dieu face au mal ? Ce problème porte un nom en philosophie : la théodicée (le procès de Dieu). Nous le faisons tous les jours, devant un enfant qui souffre, devant un grand amour qui nous est enlevé par une maladie, devant le fanatisme de ceux qui tuent au nom de leur Dieu, devant notre écran de télévision qui nous apporte les cris et les souffrances du monde.
Un soir, je me mis à sangloter en écoutant le journal télévisé : les nouvelles n’étaient pas pires que celles d’un autre jour, c’était la soupe ordinaire du crime et de l’injustice mais ce soir là, je ne me contentai pas de comprendre et d’enregistrer les informations, je les sentais. Dans ma chair je saignais à l’unisson du monde ; les violences résonnaient en moi comme un tympan. J’étais déprimé d’être un homme. Je me dis : « Comme Dieu doit être découragé en regardant le journal de 20 heures ! ». J’avais même de la compassion pour ce Dieu dont l’existence m’est incertaine.
Je songeai encore : « Si Dieu a une dépression que peut-il faire ? Quel recours ? Qui peut-il aller voir ? ».Immédiatement l’image fondit sur moi : Dieu sur le divan de Freud. Puis la contre image : Freud sur le divan de Dieu. L’excitation intellectuelle sécha rapidement mes larmes, je me mis à jubiler. Dieu et Freud doivent avoir énormément de choses à se dire puisqu’ils ne sont d’accord sur rien…
Et ce dialogue n’est pas facile puisque aucun des deux ne croit en l’autre…
L’idée fit son nid en moi, m’habita plusieurs années avant que je m’en délivre en écrivant la pièce.
Le succès fut une leçon d’humilité. Ce que j’avais cru, présomptueusement, n’intéresser que moi, intéressait une multitude. En allant au cœur de moi-même, ce n’était pas moi-même que je découvrais, mais l’humain, l’humain universel.
La sincérité est un humanisme. Douter, changer d’avis, passer de l’espoir au désespoir, ne pas savoir, ce n’est pas être faible, c’est être un homme. J’ai appris que chacun se retrouve dans les méandres du Visiteur ; les Juifs y voient une méditation hassidique, les chrétiens une pièce pascalienne sur le Dieu caché, les athées y reconnaissent le cri de leur détresse. Cela signifie aussi que chacun y écoute des positions qui ne sont pas les siennes. Qui que l’on soit, en écoutant la pièce, on fait l’épreuve de l’autre. Et cela surtout m’importe.
Qui est le visiteur ? Dieu ou un fou ? Un songe de Freud ? La pièce n’est- elle que la méditation intérieure d’un vieil homme ? Chacun le décidera avec sa liberté.
Ma réponse n’a pas plus de valeur que celle d’un autre. On la détectera néanmoins dans le texte si l’on est très attentif. La pièce prépare le terrain de la croyance et s’arrête au seuil. Franchir ce seuil relève de la foi, donc de la liberté. Et cela n’est donc pas partageable.
Si je faisais autre chose qu’indiquer le seuil, Le Visiteur cesserait d’être une pièce philosophique, deviendrait une pièce à thèse -ce que j’exècre- et faillirait à sa vocation de donner à penser en même temps qu’à sentir.
Quant à l’ami qui m’avait déconseillé de publier cette pièce qui ne l’intéressait pas, il est toujours là, auprès de moi, encore plus près ; nous avons parlé parfois, en riant, de cette mort qu’il avait souhaité au Visiteur ; il ne se dément pas, mais je sais, par d’autres, qu’il en sait désormais toutes les grandes tirades par cœur.
Grenade, Espagne, le 16 janvier 2000
Eric-Emmanuel-Schmitt